Quelle mesure pour le pouvoir d’achat ?
OFCE, Sciences Po, CEPR
2024-07-09
Chaque mois, l’Insee publie deux indicateurs pour mesurer l’inflation en France :
Sur 3 ans, l’inflation IPCH est environ 2 points au-dessus de l’inflation IPC…
Cette note défend l’idée que, pour des raisons économiques et méthodologiques,
l’IPCH constitue un outil plus pertinent que l’IPC pour estimer :
Selon l’Insee, « L’IPCH ne remplace pas l’indice national qui reste l’indice de référence pour analyser l’inflation en France. » Voir en ligne.
Pour les indexations:
Pour le diagnostic sur les évolutions en euros constants, la mesure de l’évolution du pouvoir d’achat:
Loi de Goodhart: « Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure. »
Environ 0.7 - 0.8 points de pourcentage récemment, en 2022 et 2023.
Environ 2 points de pourcentage en glissement sur 3 ans.
Environ 8 points de pourcentage sur 25 ans.
L’IPC inclut les prix bruts (avant remboursements). Les déremboursements ne sont donc pas considérés comme de l’inflation. (Barret, Bonotaux, et Magnien 2003)
L’IPCH retient les prix nets (après remboursements). Les déremboursements sont donc enregistrés comme de l’inflation pour les ménages.
Deux conséquences :
La 2ème méthode des prix nets est clairement recommandée par les manuels internationaux sur les indices de prix.
L’IPCH reflète la hausse du reste à charge (déremboursements).
L’IPC amortit cette évolution via les prix bruts.
Inclure les dépenses de santé remboursées dans l’IPC est une exception française, contraire aux recommandations internationales.
Le manuel CPI (Banque Mondiale et al. 2020) dit très clairement: “Seules les dépenses directes des ménages, nettes des remboursements, doivent être incluses.”
Augmentation depuis 2005. Parcours de soins coordonné; Participations forfaitaires; Franchises; Forfait Patient Urgence (PFU) = 19,61 € depuis le 1er janvier 2022.
Exemple: Le doublement des franchises médicales au 31 mars 2024 n’est pas enregistrée comme une perte de pouvoir d’achat.
31 mars 2024: 1€ non remboursé sur chaque boîte de médicaments ou acte paramédical.
Avant 1971 : suivi des prix nets. Depuis 1971, 5ème génération de l’indice des prix (indice des 295 postes, base 1970) : suivi des prix bruts (base 1970).
Ce choix méthodologique, fait lorsque l’Insee était peut-être moins indépendant qu’aujourd’hui, a été maintenu jusqu’à la 8ème génération actuelle de l’indice des prix (base 2015). C’est aussi à cette époque qu’on exclut la construction de logements… Voir:
« Quelques remarques au sujet du Blog de l’Insee: Mais si, l’Insee prend bien en compte le logement dans l’inflation ! », F. Geerolf, Document de travail, 22 février 2022. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
L’IPC contient d’autres différences méthodologiques comparé à l’IPCH, qui toutes vont dans le sens d’une minimisation de l’inflation…
L’IPCH inclut les frais d’inscription à l’école privée, ce que ne fait pas l’IPC. (dans un contexte de privatisation rampante, cela peut avoir de l’importance) Mentionné dans Daubaire (2022).
Dans l’IPC existe un poste jeux de hasard, représenté par la variété “Ticket à gratter” pour 1% de l’indice !! => minimisation de l’inflation. Non mentionné dans le Blog de l’Insee le 1er mars 2022.
2022 : suppression de la redevance audiovisuelle comptée en baisse de prix dans l’IPC, pas dans l’IPCH - là encore l’IPC n’est pas en conformité avec les réglements internationaux. (la baisse ne profitait pas à tout le monde) Non mentionné dans Daubaire (2022).
Variété avec un poids plus important dans l’IPC que le transport aérien, la téléphonie mobile, ou l’essence Super sans plomb 95-E10…
Pour 0.9%-1% de l’indice depuis 2016. (l’IPC base 2016). Ticket à gratter le représente.
Bras de fer judiciaire de l’association Ouvre-boîte avec l’INSEE grâce auquel nous le savons… Voir Décision n° 472883 du Conseil d’Etat.
Evolution très stable: ticket à gratter à 1€ ?
Non conforme aux manuels internationaux => divergence avec l’IPCH.
La transparence au sujet de la différence IPC vs. IPCH n’est pas parfaite.
Suivre les prix bruts plutôt que les prix nets ne parait pas justifiable au regard de la logique économique, ou des manuels internationaux sur les indices de prix. C’est vrai pour la santé, mais aussi pour l’éducation, et peut-être dans d’autres domaines…
Avec l’augmentation du reste à charge pour les ménages dans les années qui viennent, ce biais pourrait être grandissant.
La présente d’une variété “ticket à gratter” censée représenter tous les jeux de hasard (loto, tiercé, casino etc.) est étonnante, d’autant qu’elle représente un poids considérable. (autour de 1% de l’indice)
Utiles pour comparer salaires réels et niveaux de vie.
Mais aujourd’hui, l’Insee utilise systématiquement l’IPC pour mesurer ces évolutions dites “en euros constants”.
Remplacer l’IPC par l’IPCH → hausse du pouvoir d’achat moins favorable, mais plus exacte.
En période d’inflation, l’écart se creuse fortement.
L’« IPC hors tabac » utilisé pour certaines indexations (Smic, prestations, loyers) ne respecte pas les recommandations internationales, qui déconseillent d’exclure des biens (y compris tabac et alcool) pour éviter des manipulations politiques.
L’IPC hors tabac est donc doublement non conforme au manuel méthodologique de l’indice des prix: d’abord parce qu’il exclut le tabac, ensuite parce que l’IPC incluant le tabac lui-même n’est pas conforme à ce manuel.
Manuel met en garde sur la tentation d’augmenter le prix d’un bien qui a été exclut de l’IPC. Et effectivement on a vu +677.2% depuis la loi Neiertz en 1992 - interdiction d’indexer sur un indice incluant le tabac.
La Dares, service statistique ministériel du Ministère du Travail, publie des évolutions de salaires dites “en euros constants” en utilisant comme indice de prix l’IPC hors tabac, ce qui est problématique par rapport à ces recommandations internationales…
Débat IPC vs. IPCH est présenté le 1er février 2022 en séminaire interne à l’OFCE pour inclusion dans le Policy Brief n°104 sur le bilan du 1er quinquennat Macron en termes de pouvoir d’achat. D’autres problèmes liés à la mesure du pouvoir d’achat par l’Insee sont aussi évoqués: le faible poids du logement dans l’IPC français, les effets qualité… (voir Geerolf (2024))
L’Insee sort un Blog détaillant les différences IPC/IPCH le 1er mars 2022, par Aurélien Daubaire, chef du département des Prix à la consommation et des Enquêtes ménages à l’Insee… (hasard ?) La partie traitant des problèmes de mesure du pouvoir d’achat est retirée du Policy Brief juste avant sa publication en mars 2022.
Différence IPC/IPCH évoquée dans le commentaire critique du Blog de l’Insee sur le logement des propriétaires en février 2022, un entretien à Marianne en mai 2022 et un Blog de l’OFCE en décembre 2023.
Différence évoquée dans une interview à L’Opinion le 27 février 2024. Lettre du DG de l’Insee envoyée au Conseil de l’OFCE le 5 mars 2024 portant entre autres sur la différence IPC/IPCH => 3 documents de travail sortis le 9 juillet 2024 sur les 3 points de contestation du DG de l’Insee (pouvoir d’achat, IPC vs. IPCH, taxe inflationniste).
Beaucoup d’autres pays européens maintiennent aussi un IPC national à côté de l’IPCH.
Mais à notre connaissance, aucun de ces pays ne le fait pour retenir les prix bruts de la santé, et non pas les prix nets.
Ils le font souvent pour de “bonnes” raisons, et notamment prendre en compte le logement des propriétaires-occupants, ce qui n’est pas fait dans l’IPCH. Dans l’IPC français, le logement des propriétaires n’est pas pris en compte. A ce sujet, voir Geerolf (2022):
« Quelques remarques au sujet du Blog de l’Insee: Mais si, l’Insee prend bien en compte le logement dans l’inflation ! », F. Geerolf, Document de travail, 22 février 2022. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
On peut vouloir ne pas protéger les revenus indexés de la hausse des franchises médicales. (mais c’est un choix politique !)
On peut vouloir faire des économies dans les dépenses sociales, indexées sur l’indice des prix, mais alors il faudrait assumer une sous-indexation plutôt que de biaiser la mesure de l’inflation ?
Le problème c’est que 2 problèmes sont mélangés: celui des indexations et celui de la mesure du pouvoir d’achat…
Goodhart: quand un indicateur devient un objectif, il cesse d’être un bon indicateur…
« Mesurer “le” pouvoir d’achat », F. Geerolf, Document de travail, 9 juillet 2024. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« La taxe inflationniste, le pouvoir d’achat, le taux d’épargne et le déficit public », F. Geerolf, Document de travail, 9 juillet 2024. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« Inflation en France : IPC ou IPCH ? », F. Geerolf, Document de travail, 9 juillet 2024. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« L’analyse de l’inflation par catégorie de ménages : quelques problèmes méthodologiques », F. Geerolf, Blog de l’OFCE, décembre 2023. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« Quelques remarques au sujet du Blog de l’Insee: Mais si, l’Insee prend bien en compte le logement dans l’inflation ! », F. Geerolf, Document de travail, 22 février 2022. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]