
Inflation en France: IPC ou IPCH ?
Quelle mesure pour le pouvoir d’achat ?
Introduction
Quel est le débat IPC/IPCH ?
Chaque mois, l’Insee publie deux indicateurs pour mesurer l’inflation en France :
- l’Indice des Prix à la Consommation (IPC), utilisé pour l’analyse nationale ;
- l’Indice des Prix à la Consommation Harmonisé (IPCH), utilisé pour les comparaisons européennes, republié par Eurostat - et qui est notamment utilisé comme référence par la Banque Centrale Européenne.
- l’Indice des Prix à la Consommation (IPC), utilisé pour l’analyse nationale ;
Sur 3 ans, l’inflation IPCH est environ 2 points au-dessus de l’inflation IPC…
Cette note défend l’idée que, pour des raisons économiques et méthodologiques,
l’IPCH constitue un outil plus pertinent que l’IPC pour estimer :- l’évolution du pouvoir d’achat des salaires,
- celle des niveaux de vie,
- et les évolutions en euros constants.
- l’évolution du pouvoir d’achat des salaires,
L’Insee n’est pas d’accord !
Selon l’Insee, « L’IPCH ne remplace pas l’indice national qui reste l’indice de référence pour analyser l’inflation en France. » Voir en ligne.
Indexations vs. évolution sur le pouvoir d’achat
Pour les indexations:
- Aligner l’IPC sur l’IPCH → hausse plus rapide du Smic et des prestations indexées => une question politique.
- Dans une logique de contrainte budgétaire (secteur public), ou de compétitivité via la modération salariale (secteur privé), on peut comprendre que l’IPC demeure la référence pour la plupart des indexations à court terme, et pour les négociations salariales. Mais alors il faudrait assumer que l’indexation sur l’IPC revient à une sous-indexation…
- Exception notable : valeurs locatives cadastrales pour la Taxe Foncière → IPCH est utilisé (parce qu’il est plus dynamique ?).
- Aligner l’IPC sur l’IPCH → hausse plus rapide du Smic et des prestations indexées => une question politique.
Pour le diagnostic sur les évolutions en euros constants, la mesure de l’évolution du pouvoir d’achat:
- IPCH clairement méthodologiquement supérieur à l’IPC (conforme aux normes internationales).
- Les évolutions en euros constants devraient utiliser l’IPCH et non l’IPC, par exemple afin de prendre en compte les déremboursements croissants des médicaments…
- Pour le coup, ce n’est pas une question politique mais statistique / scientifique !
- IPCH clairement méthodologiquement supérieur à l’IPC (conforme aux normes internationales).
Loi de Goodhart: « Lorsqu’une mesure devient un objectif, elle cesse d’être une bonne mesure. »
Différences IPC / IPCH
Différences observées : IPC vs IPCH (tableau)
Environ 0.7 - 0.8 points de pourcentage récemment, en 2022 et 2023.
Environ 2 points de pourcentage en glissement sur 3 ans.
Environ 8 points de pourcentage sur 25 ans.

Ratio IPCH/IPC
- Divergence a accéléré depuis 2021.

La santé: les prix bruts vs. nets
Principale raison de l’écart : la santé
L’IPC inclut les prix bruts (avant remboursements). Les déremboursements ne sont donc pas considérés comme de l’inflation. (Barret, Bonotaux, et Magnien 2003)
L’IPCH retient les prix nets (après remboursements). Les déremboursements sont donc enregistrés comme de l’inflation pour les ménages.
Deux conséquences :
- Poids du poste santé plus élevé dans l’IPC → baisse du poids des autres postes.
- L’indice santé IPCH augmente plus vite (hausse du reste à charge).
- Poids du poste santé plus élevé dans l’IPC → baisse du poids des autres postes.
La 2ème méthode des prix nets est clairement recommandée par les manuels internationaux sur les indices de prix.
Évolution du poste santé

L’IPCH reflète la hausse du reste à charge (déremboursements).
L’IPC amortit cette évolution via les prix bruts.
Contraire aux recommandations internationales

Une spécificité française
Inclure les dépenses de santé remboursées dans l’IPC est une exception française, contraire aux recommandations internationales.
Le manuel CPI (Banque Mondiale et al. 2020) dit très clairement: “Seules les dépenses directes des ménages, nettes des remboursements, doivent être incluses.”
Augmentation depuis 2005. Parcours de soins coordonné; Participations forfaitaires; Franchises; Forfait Patient Urgence (PFU) = 19,61 € depuis le 1er janvier 2022.
Exemple: Le doublement des franchises médicales au 31 mars 2024 n’est pas enregistrée comme une perte de pouvoir d’achat.
Doublement de la franchise médicale au 31 mars 2024
31 mars 2024: 1€ non remboursé sur chaque boîte de médicaments ou acte paramédical.

Historique Insee : du net au brut
Avant 1971 : suivi des prix nets. Depuis 1971, 5ème génération de l’indice des prix (indice des 295 postes, base 1970) : suivi des prix bruts (base 1970).
Ce choix méthodologique, fait lorsque l’Insee était peut-être moins indépendant qu’aujourd’hui, a été maintenu jusqu’à la 8ème génération actuelle de l’indice des prix (base 2015). C’est aussi à cette époque qu’on exclut la construction de logements… Voir:
« Quelques remarques au sujet du Blog de l’Insee: Mais si, l’Insee prend bien en compte le logement dans l’inflation ! », F. Geerolf, Document de travail, 22 février 2022. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
- Suggestion: La 9ème génération (base 2025, publiée 2026) pourrait revenir aux prix nets, => alignement avec l’IPCH et les standards internationaux.
Changements de l’indice des 295 postes (Insee 1981)

Ecole privée, jeux de hasard, Redevance TV, etc.
Autres divergences méthodologiques
L’IPC contient d’autres différences méthodologiques comparé à l’IPCH, qui toutes vont dans le sens d’une minimisation de l’inflation…
L’IPCH inclut les frais d’inscription à l’école privée, ce que ne fait pas l’IPC. (dans un contexte de privatisation rampante, cela peut avoir de l’importance) Mentionné dans Daubaire (2022).
Dans l’IPC existe un poste jeux de hasard, représenté par la variété “Ticket à gratter” pour 1% de l’indice !! => minimisation de l’inflation. Non mentionné dans le Blog de l’Insee le 1er mars 2022.
2022 : suppression de la redevance audiovisuelle comptée en baisse de prix dans l’IPC, pas dans l’IPCH - là encore l’IPC n’est pas en conformité avec les réglements internationaux. (la baisse ne profitait pas à tout le monde) Non mentionné dans Daubaire (2022).
Enseignement et scolarité

- Hausse des frais de scolarité privée → inflation sous-estimée par l’IPC.
- Contribue à l’écart structurel IPC / IPCH.
Ticket à gratter: Poids = 0.94% !
Variété avec un poids plus important dans l’IPC que le transport aérien, la téléphonie mobile, ou l’essence Super sans plomb 95-E10…

Poids des jeux de hasard dans l’indice des prix
Pour 0.9%-1% de l’indice depuis 2016. (l’IPC base 2016). Ticket à gratter le représente.

Merci à l’association “Ouvre-boîte” !
Bras de fer judiciaire de l’association Ouvre-boîte avec l’INSEE grâce auquel nous le savons… Voir Décision n° 472883 du Conseil d’Etat.

Evolution
Evolution très stable: ticket à gratter à 1€ ?

Poids très différent de budget des familles ?

Redevance audioviduelle
Non conforme aux manuels internationaux => divergence avec l’IPCH.

Récapitulatif
La transparence au sujet de la différence IPC vs. IPCH n’est pas parfaite.
Suivre les prix bruts plutôt que les prix nets ne parait pas justifiable au regard de la logique économique, ou des manuels internationaux sur les indices de prix. C’est vrai pour la santé, mais aussi pour l’éducation, et peut-être dans d’autres domaines…
Avec l’augmentation du reste à charge pour les ménages dans les années qui viennent, ce biais pourrait être grandissant.
La présente d’une variété “ticket à gratter” censée représenter tous les jeux de hasard (loto, tiercé, casino etc.) est étonnante, d’autant qu’elle représente un poids considérable. (autour de 1% de l’indice)
Quelques exemples
Les évolutions « en euros constants »
Utiles pour comparer salaires réels et niveaux de vie.
Mais aujourd’hui, l’Insee utilise systématiquement l’IPC pour mesurer ces évolutions dites “en euros constants”.
Remplacer l’IPC par l’IPCH → hausse du pouvoir d’achat moins favorable, mais plus exacte.
En période d’inflation, l’écart se creuse fortement.
Exemple : salaires réels des cadres en baisse !

- Le choix de l’indice inverse le diagnostic.
Autre exemple : point d’indice fonction publique

Le cas de l’IPC hors tabac
L’« IPC hors tabac » utilisé pour certaines indexations (Smic, prestations, loyers) ne respecte pas les recommandations internationales, qui déconseillent d’exclure des biens (y compris tabac et alcool) pour éviter des manipulations politiques.
L’IPC hors tabac est donc doublement non conforme au manuel méthodologique de l’indice des prix: d’abord parce qu’il exclut le tabac, ensuite parce que l’IPC incluant le tabac lui-même n’est pas conforme à ce manuel.
Manuel met en garde sur la tentation d’augmenter le prix d’un bien qui a été exclut de l’IPC. Et effectivement on a vu +677.2% depuis la loi Neiertz en 1992 - interdiction d’indexer sur un indice incluant le tabac.
La Dares, service statistique ministériel du Ministère du Travail, publie des évolutions de salaires dites “en euros constants” en utilisant comme indice de prix l’IPC hors tabac, ce qui est problématique par rapport à ces recommandations internationales…
IPC hors tabac: “Such practices are not unknown”…

… not unknown indeed !

Dares: évolutions “en € constants” avec l’IPC hors tabac…

Conclusion
Sujet sensible !
Débat IPC vs. IPCH est présenté le 1er février 2022 en séminaire interne à l’OFCE pour inclusion dans le Policy Brief n°104 sur le bilan du 1er quinquennat Macron en termes de pouvoir d’achat. D’autres problèmes liés à la mesure du pouvoir d’achat par l’Insee sont aussi évoqués: le faible poids du logement dans l’IPC français, les effets qualité… (voir Geerolf (2024))
L’Insee sort un Blog détaillant les différences IPC/IPCH le 1er mars 2022, par Aurélien Daubaire, chef du département des Prix à la consommation et des Enquêtes ménages à l’Insee… (hasard ?) La partie traitant des problèmes de mesure du pouvoir d’achat est retirée du Policy Brief juste avant sa publication en mars 2022.
Différence IPC/IPCH évoquée dans le commentaire critique du Blog de l’Insee sur le logement des propriétaires en février 2022, un entretien à Marianne en mai 2022 et un Blog de l’OFCE en décembre 2023.
Différence évoquée dans une interview à L’Opinion le 27 février 2024. Lettre du DG de l’Insee envoyée au Conseil de l’OFCE le 5 mars 2024 portant entre autres sur la différence IPC/IPCH => 3 documents de travail sortis le 9 juillet 2024 sur les 3 points de contestation du DG de l’Insee (pouvoir d’achat, IPC vs. IPCH, taxe inflationniste).
IPC ou IPCH: et les autres pays européens ?
Beaucoup d’autres pays européens maintiennent aussi un IPC national à côté de l’IPCH.
Mais à notre connaissance, aucun de ces pays ne le fait pour retenir les prix bruts de la santé, et non pas les prix nets.
Ils le font souvent pour de “bonnes” raisons, et notamment prendre en compte le logement des propriétaires-occupants, ce qui n’est pas fait dans l’IPCH. Dans l’IPC français, le logement des propriétaires n’est pas pris en compte. A ce sujet, voir Geerolf (2022):
« Quelques remarques au sujet du Blog de l’Insee: Mais si, l’Insee prend bien en compte le logement dans l’inflation ! », F. Geerolf, Document de travail, 22 février 2022. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
Indexations vs. pouvoir d’achat
On peut vouloir ne pas protéger les revenus indexés de la hausse des franchises médicales. (mais c’est un choix politique !)
On peut vouloir faire des économies dans les dépenses sociales, indexées sur l’indice des prix, mais alors il faudrait assumer une sous-indexation plutôt que de biaiser la mesure de l’inflation ?
Le problème c’est que 2 problèmes sont mélangés: celui des indexations et celui de la mesure du pouvoir d’achat…
Goodhart: quand un indicateur devient un objectif, il cesse d’être un bon indicateur…
Bibliographie: travaux reliés
« Mesurer “le” pouvoir d’achat », F. Geerolf, Document de travail, 9 juillet 2024. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« La taxe inflationniste, le pouvoir d’achat, le taux d’épargne et le déficit public », F. Geerolf, Document de travail, 9 juillet 2024. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« Inflation en France : IPC ou IPCH ? », F. Geerolf, Document de travail, 9 juillet 2024. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« L’analyse de l’inflation par catégorie de ménages : quelques problèmes méthodologiques », F. Geerolf, Blog de l’OFCE, décembre 2023. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]
« Quelques remarques au sujet du Blog de l’Insee: Mais si, l’Insee prend bien en compte le logement dans l’inflation ! », F. Geerolf, Document de travail, 22 février 2022. [ html] [ pdf] [ handouts] [ pdf] [ html] [ github]