Effets qualité, mesure de l’inflation et transition écologique

effets qualité
méthodologie
écologie
Auteur
Affiliation

OFCE, Sciences Po, CEPR

Date de publication

22 mai 2023

Le problème de la mesure de l’inflation dans un contexte de transition environnementale, et les impacts sur la mesure de l’inflation, du pouvoir d’achat, et du PIB sont évoqués dans la synthèse du rapport thématique “Inflation” du rapport Pisani-Mahfouz, ainsi que dans son introduction qui contient un encadré traitant spécifiquement de ce sujet.

Introduction

Les réglementations sur les émissions de carbone peuvent faire augmenter les prix des produits concernés par les nouvelles normes : par exemple, une hausse du coût des véhicules peut être anticipée si on assiste à une interdiction de la commercialisation de moteurs à combustion d’ici 2035. Néanmoins, malgré le renchérissement des biens bénéficiant d’une amélioration de leur qualité environnementale, la mesure de l’inflation (indice des prix à la consommation) inclura ces biens comme des nouveaux produits, ne prenant pas en compte leur effet potentiel en termes de pertes de pouvoir d’achat (voir Encadré 1 page suivante).

Encadré 1 ‒ Définitions et mesures de l’inflation

L’indice des prix à la consommation (IPC) publié par l’Insee est un indice de Laspeyres chaîné annuellement : il reflète l’évolution chaque mois des prix d’un panier fixe et représentatif de biens et services marchands consommés sur l’ensemble du territoire national. Les pondérations utilisées pour agréger les prix sont les poids de ces produits dans les dépenses de consommation des ménages de l’année précédente ; elles sont mises à jour chaque année pour refléter les évolutions de la consommation des ménages et assurer sa représentativité. Les modes de collecte des prix sont variés : par des enquêteurs de l’Insee dans les points de vente physique, sur internet manuellement par des agents de l’Insee ou assistés par robot, et par transmission des données de caisse pour les supermarchés et hypermarchés.

Comment l’évolution de la qualité environnementale des produits se reflète-t-elle dans l’indice des prix ?1 L’indice des prix à la consommation suit des produits ou des prestations aux caractéristiques très précises. Quand une caractéristique attachée à un produit évolue, par exemple sa qualité environnementale, la statistique publique considère alors le plus souvent qu’il s’agit d’un nouveau produit. L’évolution de prix liée à ce changement de caractéristique ne se verra donc pas sur l’indice des prix. En revanche, il sera reflété dans l’évolution du volume de la consommation des ménages, puisque les dépenses de consommation finale des ménages sont généralement déflatées par les résultats détaillés de l’IPC. Le manuel méthodologique sur l’indice des prix à la consommation harmonisé ou IPCH (Eurostat, 2018) considère qu’un changement de qualité a lieu lorsque des caractéristiques du produit de substitution qui importent au consommateur diffèrent de celles du produit remplacé.

Si l’évolution de la qualité environnementale des produits n’affecte pas au premier ordre le niveau des prix, elle peut être visible sur l’évolution des prix. Prenons l’exemple de la hausse prévisible de la part des véhicules électriques dans les ventes automobiles. Quand la voiture électrique intègre l’IPC, cela n’a pas d’effet sur l’IPC car elle est considérée comme un nouveau produit. Elle y entre avec un prix a priori élevé, sa technologie étant encore immature à ce stade, et son prix a tendance à baisser ensuite, au fur et à mesure des économies d’échelle et de l’amélioration des technologies de production. Ainsi, alors même que le prix moyen d’une voiture neuve augmente quand le parc bascule des véhicules thermiques aux électriques, la contribution des véhicules à l’indice des prix à la consommation serait plutôt baissière. Derrière ce paradoxe apparent se cache l’amélioration de la qualité environnementale des véhicules. En effet, un véhicule n’est pas simplement un moyen pour se déplacer, il a beaucoup d’autres caractéristiques, dont son impact sur le climat à travers les émissions de gaz à effet de serre tout au long de la vie du véhicule. Ce mécanisme n’est pas propre à la transition écologique, il est visible de la même façon avec tout autre produit dont le prix baisse tendanciellement (par exemple un ordinateur).

Le choix de l’instrument de politique publique mobilisé ‒ une taxe ou une norme environnementale ‒ affecte-t-il l’indice des prix ? Oui, d’un côté, une taxe environnementale renchérit un produit et est donc a priori considérée comme une hausse de prix dans l’IPC. D’un autre côté, une norme environnementale sera le plus souvent considérée comme un effet qualité, dans la mesure où elle s’accompagne d’une modification d’une caractéristique d’un produit a priori valorisée par le consommateur, comme indiqué ci-dessus. Ceci dit, il peut y avoir des nuances dans le traitement d’une même norme selon le pays. En effet, Eurostat (2018) précise la façon dont ces changements de caractéristiques environnementales doivent être intégrés à l’indice des prix. Il arrive que des catégories de produits soient soumises à de nouvelles exigences légales en matière de sécurité, de santé ou de protection de l’environnement et que leurs caractéristiques soient modifiées en conséquence. Ces modifications sont des changements de qualité dans la mesure où elles entraînent des changements dans la fonctionnalité de l’utilisateur, telle qu’elle est perçue par les consommateurs au moment de l’achat. Si les modifications sont d’un type qui n’intéresse pas beaucoup les consommateurs, elles sont alors moins importantes en tant que changements de qualité. Il pourrait être utile d’adopter une convention selon laquelle, en cas de doute, les modifications du produit dues à des exigences légales ne doivent pas faire l’objet d’un ajustement de la qualité. Selon que le consommateur (ou le producteur de l’indice des prix) valorise ou non une caractéristique environnementale donnée, il y a donc lieu de considérer l’évolution de cette caractéristique comme un effet qualité ou un effet prix.

La construction des indices de production obéit à la même logique. Ainsi et à titre d’exemple, le calcul de l’indice du coût de la construction mobilise un modèle hédonique rassemblant un grand nombre de caractéristiques des logements, dont leur performance énergétique. L’amélioration de la qualité des logements n’est donc pas visible dans les prix, mais dans les volumes.

Synthèse dans le rapport thématique “Inflation” du rapport Pisani-Mahfouz (2023)

Ces évolutions seraient prises en compte dans l’inflation mesurée par la statistique publique. D’autres évolutions pourront passer par un effet qualité et non par un surcroît (ou une baisse) de prix. Par exemple, un véhicule électrique représente dans l’indice des prix un produit différent d’une voiture thermique équivalente dans l’indice des prix : autrement dit, le remplacement des véhicules thermiques par des véhicules électriques plus chers n’augmente pas l’indice des prix. Au contraire, la baisse probable du prix des véhicules électriques contribuera négativement à l’indice des prix.

Dans le rapport principal

Une question, un peu technique, se pose sur le partage volume/prix du surcoût de ces véhicules. En comptabilité nationale, l’écart de prix entre véhicules électriques et véhicules thermiques est en effet considéré comme reflétant une amélioration de la qualité et correspond donc à une hausse du volume d’automobiles, et non à une hausse de leur prix.

L’idée sous-jacente est que si les consommateurs acceptent de payer plus cher, c’est bien qu’ils accordent de la valeur à la différence entre véhicules électriques et thermiques. La hausse des dépenses engendrée par l’augmentation de la part des véhicules électriques dans les ventes conduit ainsi, en comptabilité nationale, à une augmentation du volume de consommation automobile et non à une hausse de son prix moyen.

Bibliographie

Le rapport thématique complet sur l’Inflation est disponible ici:

  • Dees S., E. Bellevrat, de A. Gaye, F. Geerolf, M. Lequien, R. Schweizer, A. Tettaravou et O. Wegner, 2023, « Les incidences économiques de l’action pour le climat : rapport thématique inflation », France stratégie, mai 2023. [pdf] [html]

Le rapport Pisani, Mahfouz (2023) principal:

  • Pisani-Ferry J., S. Mahfouz, 2023, « Les implications économiques de l’action climatique », novembre 2023, France stratégie. [pdf]

Notes de bas de page

  1. Le rapport thématique Bien-être aborde de façon complémentaire ces questions, en interrogeant le lien entre la transition écologique et le bien-être des consommateurs, dont le prix des biens consommés n’est qu’un aspect. Voir France Stratégie (2023), Les incidences économiques de l’action pour le climat. Bien-être, rapport thématique coordonné par Didier Blanchet, mai.↩︎